Nous essayons ici d΄étudier les possibilités de rencontre entre une philosophie phénoménologique d΄inspiration cartésienne, comme celle de Sartre, et la pratique marxiste à travers la lecture que Merleau-Ponty entreprend de la pensée politique sartrienne avant, bien sûr, la Critique de la raison dialectique. Le point central différenciant Sartre, qui conçoit le sujet comme «néantisation», de Merleau-Ponty, qui voit dans l΄homme un «engagement» de principe, reste le problème de la communication intérieur (conscience)- extérieur (être). Pour le premier, la conscience (l΄«esprit», le néant, la liberté) entretient avec le dehors un rapport analytique de juxtaposition — se reproduit d΄une certaine manière la conception cartésienne du cogito; pour le second, ce qui intéresse c΄est le conditionnement du dedans, le corps, la société, autrui, la dialectique qui s΄instaure entre eux, l΄«ambiguïté» qui les caractérise, aussi — et l΄élément hégélien d΄une telle approche paraît évident. En ce qui concerne le rapprochement communiste de Sartre, celui-ci n΄est pas dû tant à l΄essence de sa philosophie qu΄à une certaine «dégradation» de la pensée dialectique qui voisinerait ainsi avec des thématiques de la «décision» ou du «choix». Ces thématiques s΄inscrivant directement dans une philosophie du sujet ne constituent pas de points forts de la théorie marxiste, où c΄est le social qui prévaut comme «seconde nature». L΄argument sartrien part d΄une mise en avant de la classe ouvrière sans pour autant poser conséquemment la question du comment; il reconnaît une priorité au prolétariat sans suivre le raisonnement de l΄indistinction entre fait historique et idée, que Merleau-Ponty voyait comme caractéristique du marxisme soviétique, surtout après les procès de Moscou. L΄un se rapprochait du communisme pour des raisons purement «négatives»; l΄autre voulait que le marxisme théorique ne se dissociât pas de ses applications dans un pays. Logique de néantisation, d΄une part, processus d΄engagement, de l΄autre: néantisation comme autoréférence d΄exclusion sans la surprise de la communication; engagement à travers des interactions («chiasmes», «empiétements»), où ni le sujet ni l΄objet n΄a de priorité ontologique. Dans cette deuxième optique, nous aurions affaire à une sorte de continuité-discontinuité qui mettrait l΄accent sur une «pensée critique du présent» en promouvant des notions comme participation ou différenciation. La situation concrète de l΄homme dans le monde n΄est pas à être suivie en termes de conscience-objet, ni à travers quelque «parallélisme» ou «occasionalisme». Ainsi, cette liaison «convexe-concave» pourrait se résumer par le complexe «passif-actif», qui exprime la dimension de la corporéité comme réactivation incessante du «chiasme visible-invisible» — visible au sens d΄un devenir particulier, invisible comme fondement ou horizon de devenir; et leur réversibilité est une condition nécessaire de réalisation. Néanmoins, une telle philosophie a deux aspects: d΄un côté, elle considère l΄intentionnalité monadique ou collective —p.e. le parti— comme moteur de la praxis historique en établissant avec le monde physique et social une relation de métamorphose, et, de l΄autre, contraire à tout réductionisme, empêche cette même intentionnalité de toute tentative de totalisation des significations particulières qui découlent de notre rencontre avec le monde. Ce second aspect pourrait être pris comme «faiblesse inhérente» à l΄intervention phénoménologique de Merleau-Ponty —surtout avant Le visible et l΄invisible— faiblesse aussi critique que la «difficulté interne» du marxisme qu΄il essaye de dépasser.
Ακαδημία Αθηνών
