Le premier fragment du dialogue aristotélichen Περί Φιλοσοφίας, dans l’édition de W.D. Ross Aristotelis fragmentia selecta, est un cas typique de texte qui, sans être suspect, ne fournit pas une preuve irréfutable en faveur de son authenticité et de son attribution à telle œuvre perdue du philosophe. Or, malgré les sérieuses réserves dues à la brièveté du fragment, au sujet vague dont il traite et aux conditions dans lesquelles il nous a été transmis par Plutarque, nous inclinons à adopter, après l’avoir méthodiquement examiné, les conclusions suivantes : 1. Le fragment dont il s’agit serait le résultat d’une fusion de deux textes : le texte pp. 229e-230a du Phèdre et celui p. 24b de l’Apologie de Platon; en juxtaposant le premier fragment du Περί Φιλοσοφίας et le témoignage de l’Apologie concernant l’embarras de Socrate à la suite de l’oracle rendu à Chéréphon, l’on relève des ressemblances allant jusqu’au vocabulaire. 2. Nous serions porté à attribuer la fusion précitée à Aristote lui-même, en pensant qu’il aurait légèrement infléchi ses sources dans le sens de ses préoccupations doctrinales. Faire du «connais-toi toi-même» le message delphique par excellence qui, de surcroît, à décidé Socrate à s’occuper de philosophie morale, revient à rehausser implicitement l’importance de l’âme par rapport au corps, du fait que la connaissance de soi ne vise que celle-là. Et l’on sait combien le jeune Aristote, un peut trop imbu de platonisme et pas encore sur sa propre voie, renchérit sur son maître dans des considérations de ce genre. 3. Nous ne saurions mettre en doute la validité du témoignage du Plutarque. D’une part, notre texte trouve parfaitement sa place parmi d’autres fragments lui faisant suite dans le même dialogue perdu d’Aristote, et qui forment avec lui une unité thématique centrée sur le rapport entre Delphes et la philosophie. D’autre part, le caractère sobre de la citation de Plutarque ne nous apprend rien qui contredise ce que Platon nous a transmis au sujet de Socrate. Enfin, il serait très difficile d’admettre que le texte dont il s’agit fût inventé de toutes pièces par Plutarque lui-même pour la commodité de sa polémique contre Colotés. S’il avait l’intention d’invoquer l’autorité d’un auteur célèbre pour montrer à quel point Socrate était instruit en matière de connaissance de soi, nous voyons mal pourquoi il n’aurait pas recouru aux dialogues de Platon lui-même. 4. Après avoir passé en revue les diverses interprétations proposées au sujet de l’expression εν τοις πλατωνικοίς, nous essayons de montrer que Plutarque, e s’en servant, aurait dans l’esprit les dialogues d’Aristote, à savoir les œuvres écrites dans le genre platonicien et dont le contenu se rapproche de la doctrine du maître. Le présent article et celui de la ‘Philosophia’ 4 (1974), sont le fruit d’une communication que nous avions faite en deux séances, le 7 et le 14 mai 1971, au «Centre des Recherches sur la Pensée Antique» (Paris-Sor-bonne).